L’exigence de motivation de la peine, qui trouve sa source dans le principe à valeur constitutionnelle d’individualisation de la peine (pour une illustration récente, v. Cons. const. 29 mars 2019, n° 2019-770 QPC, D. 2019. 644, et les obs. ), est ancrée dans l’arsenal législatif depuis la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines, et a entraîné, depuis, plusieurs interventions du législateur. À titre d’exemple, la très récente réforme pénale découlant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 renforce cette exigence de motivation, le nouvel article 132-19 du code pénal élargissant l’étendue de l’obligation de motivation spéciale des peines d’emprisonnement délictuel fermes à celles assorties du sursis.
Suivant ce changement de paradigme, la Cour de cassation avait déjà exercé son contrôle quant à la motivation de la peine correctionnelle dans trois arrêts du 1er février 2017, abondamment commentés (Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.984, 15-84.511 et 15-85.199, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 961 , note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017, n° 277, note J. Leblois-Happe).
Dans deux d’entre eux, la chambre criminelle avait énoncé le principe général selon lequel il résulte des articles 132-1 du code pénal et 485 du code de procédure pénale que toute peine, en matière correctionnelle, doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-85.199 et n° 15-84.511, D. 2017. 961 , note C. Saas ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ).
Curieusement, les juges du droit n’avaient pas repris la même formulation dans le troisième arrêt, s’agissant en l’espèce d’une amende, mais avaient préféré emprunter les termes de l’article 132-1 du code pénal en énonçant « en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges » (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-83.984, D. 2017. 961 , note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ). Cette formulation était, d’ailleurs, peut-être plus heureuse, puisqu’elle reprenait les termes de « circonstances de l’infraction », choisis par le législateur, et ne réduisait pas ces circonstances à l’unique angle de la gravité des faits, critère semblant relever d’une interprétation prétorienne.
La Chambre criminelle avait néanmoins levé tout doute sur le caractère général du principe entériné comprenant le critère de la gravité des faits, en énonçant, à l’occasion d’un nouvel arrêt concernant la motivation d’une peine d’amende : « en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu » (Crim. 15 mars 2017, n° 16-83.838, Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé ; D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ). Dans cette affaire, les juges du fond n’avaient que partiellement satisfait les critères évoqués. Ils avaient motivé la peine choisie en tenant compte de la gravité des faits, explicitant l’atteinte portée par le délit de favoritisme en l’espèce. Mais ils ne s’étaient pas suffisamment expliqués sur la personnalité du prévenu, sur sa situation personnelle et sur le montant de ses ressources comme de ses charges, ce qui ouvrait la voie à la cassation de l’arrêt par la Chambre criminelle.
C’est la situation tout à fait inverse qui se présente dans l’arrêt en présence, du 15 mai 2019. Les juges du fond avaient motivé la peine d’amende en tenant compte de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, notamment au regard des ressources et des charges du prévenu, mais ne s’étaient pas expliqué sur la gravité des faits. La chambre criminelle censure ainsi l’arrêt au titre de l’absence de motivation sur cet aspect. Par cette décision, elle affirme donc le caractère cumulatif des trois critères dégagés dans son principe général sur la motivation de la peine correctionnelle. Le juge doit systématiquement motiver la peine prononcée en prenant bien soin de ne faire l’impasse ni sur la gravité des faits, ni sur la personnalité de leur auteur, ni sur la situation personnelle de ce dernier. Naturellement, le contrôle de la chambre criminelle s’exercera sur l’existence de ces explications, et non sur leur teneur, laissée à l’appréciation souveraine du juge. Il n’en demeure pas moins que ces précisions peuvent être accueillies avec enthousiasme. L’obligation de motivation implique en effet la démonstration d’une réflexion et diminue ainsi le risque d’arbitraire pouvant affecter une peine.
Cet arrêt ne laisse donc aucun doute quant à la rigueur exigée par la Cour de Cassation, de jurisprudence constante (Crim. 16 avr. 2019, n° 18-83.434, Dalloz actualité, 10 mai 2019, obs. D. Goetz ; 21 mars 2018, n° 16-87.296, Dalloz actualité, 11 avr. 2018, obs. L. Priou-Alibert ; 8 mars 2017, n° 15-87.422, Dalloz actualité, 3 avr. 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 648 ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RDI 2017. 240, obs. G. Roujou de Boubée ), et ce, tant à l’égard d’une personne physique que morale (Crim. 27 mars 2018, n° 16-87.585, Dalloz actualité, 3 mai 2018, obs. J. Gallois ; Crim., 27 mars 2018, n° 16-87.585, D. 2018. 724 ; Dr. soc. 2018. 857, étude R. Salomon ).
Par ailleurs, la Chambre criminelle, en rejetant dans cet arrêt l’autre moyen du demandeur au pourvoi, confirme que la confiscation en valeur de l’objet ou du produit direct ou indirect de l’infraction n’est pas soumise à l’exigence de proportionnalité. Cette solution n’est pas nouvelle mais permet de constater la constance de cette position (Crim. 3 mai 2018, n° 17-82.098, Dalloz actualité, 4 juin 2018, obs. L. Priou-Alibert ).
Par Louis JAY
Source : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/peine-correctionnelle-juge-tenu-de-s-expliquer-sur-gravite-des-faits#.XQNs44gzaUk