La cession d’une créance ne confère pas au cessionnaire qualité pour défendre, en l’absence du cédant, à une demande de résolution du contrat dont procède cette créance.
La cession d’une créance ne confère pas au cessionnaire qualité pour défendre à une demande de résolution du contrat dont procède cette créance. C’est ce qui résulte de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 mai 2019. À l’origine de l’espèce, se trouve un contrat de vente entre deux sociétés. La société vendeuse cède les créances résultant de factures émises sur la société acheteuse à une banque, suivant les règles de cession des créances professionnelles. La banque, créancier cessionnaire, assigne alors le débiteur cédé en paiement desdites créances. Invoquant un défaut de livraison des matériels commandés, le débiteur cédé demande la résolution du contrat de vente et, en conséquence, le rejet de la demande de la banque. Celle-ci lui oppose la fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité pour défendre à la demande de résolution du contrat. La cour d’appel rejette cette fin de non-recevoir estimant que le cessionnaire, qui obtient la propriété de la créance, vient aux droits et obligations du cédant et que le débiteur cédé peut lui opposer les différentes exceptions inhérentes à la créance. Or cette motivation montre que la solution des juges du second degré procède d’une double confusion.
Tout d’abord, il est vrai qu’en cas de cession de créance, le débiteur peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au cédant et notamment l’exception d’inexécution. Cela a été admis dans un premier temps par la Cour de cassation (Com. 12 janv. 2010, n° 08-22.000 ; D. 2010. 266, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2010. 106, obs. B. Fages ; RDC 2010/3, 834, obs. Y.-M. Laithier), puis repris par le législateur. Le nouvel article 1324 du code civil énonce que « le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette » et également « les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable ». Au titre des exceptions inhérentes à la dette, le texte donne comme exemple l’exception d’inexécution. Mais en l’espèce, si le débiteur invoquait l’inexécution du contrat – la non livraison des matériels commandés – ce n’était pas pour opposer l’exception d’inexécution au cessionnaire, mais pour demander la résolution du contrat. Or ce n’est pas la même chose. Opposer l’exception d’inexécution, c’est faire valoir son droit, en tant que partie à un contrat synallagmatique, de refuser d’exécuter la prestation à laquelle on est tenu tant qu’on n’a pas reçu la prestation qui nous est due. Il s’agit d’obtenir une suspension temporaire du contrat, mais ce dernier subsiste. La demande de résolution, même basée sur l’inexécution, a quant à elle pour objet l’anéantissement du contrat. La cour d’appel ne pouvait donc pas rejeter la fin de non-recevoir, moyen de défense à la demande en résolution, en arguant de l’opposabilité des exceptions inhérentes à la créance.
De plus, il est vrai que le cédant transmet un certain nombre de droits et obligations au cessionnaire, mais pas tous ses droits et obligations. Plus précisément, la cession d’une créance comprend la cession des accessoires de celle-ci mais uniquement ceux-ci. L’article 1692 du code civil l’énonçait déjà avant la réforme de 2016 et c’est aujourd’hui affirmé à l’article 1321, alinéa 3, du même code. La question est alors de savoir si le droit de défendre à l’action en résolution est un accessoire de la créance. La Cour de cassation a admis que la cession de la créance emporte de plein droit le transfert des actions en justice qui lui sont attachées (Civ. 1re, 10 janv. 2006, Bull. civ. I, n° 6 ; D. 2006. 365 , obs. X. Delpech ; ibid. 2129, chron. D. Bert ; RTD civ. 2006. 552, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2006, 597, obs. Savaux ; Dr. et proc. 2006, 147, note Putman ; LPA 31 oct. 2006, note Mecarelli). Il en est ainsi de l’action en responsabilité contractuelle (Civ. 1re, 19 juin 2007, n° 05-21.678, D. 2007. 1958, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2008. 301, obs. B. Fages ) et de l’action en responsabilité délictuelle (Civ. 1re, 24 oct. 2006, n° 04-10.231, D. 2006. 2787, obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2007. 122, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC 2007. 291, obs. Viney ; Civ. 2e, 17 déc. 2009, n° 09-11.612, D. 2010. 150 ; RDC 2010. 601, note Carval). Concernant l’action en résolution, la doctrine est partagée. Tandis que certains l’intègrent dans la notion d’accessoire de la créance (F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005, n° 1290, spéc. note (2), cités par D. Bert, Regards sur la transmission de l’action en justice, D. 2006. 2129 ), le professeur Cabrillac estime que cette action ne remplit pas les critères d’accessoriété qu’il définit. Pour ce dernier, une action en justice ne peut être l’accessoire de la créance – et transmise avec celle-ci – que si elle est au service de la créance et qu’il s’agit de sa fonction exclusive (M. Cabrillac, Les accessoires de la créance, Études Weill, 1983, Dalloz-Litec, p. 107). Or selon l’auteur, si l’action en résolution peut être utile au titulaire de la créance, elle n’est pas exclusivement mise au service de cette dernière (M. Cabrillac, op. cit., n° 28).
L’arrêt du 15 mai 2019 ne tranche que partiellement la controverse. La cession de créance ne transfère pas le droit de défendre à l’action en résolution, car elle ne confère pas au cessionnaire l’une des deux conditions traditionnelles de l’action – aux côtés de l’intérêt – à savoir la qualité pour défendre. Cette dernière doit s’entendre comme « le titre justifiant d’être actionné par le demandeur » (Y.-M. Serinet, La qualité du défendeur, RTD civ. 2003. 203 ). L’exigence de qualité de défendeur postule de rechercher si c’est bien contre la personne impliquée dans le lien d’instance que la prétention devait être émise et avec elle qu’elle pouvait être débattue et tranchée au fond (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 1re éd., PUF, coll. « Thémis droit privé », 1958-1960, spéc. n° 79, p. 341). L’action en résolution étant une action banale – aucun texte n’introduisant une sélection des personnes habilitées à défendre – la qualité pour défendre revient au contradicteur naturel. Plus précisément et pour reprendre la classification de M. Gassin (R. Gassin, La qualité pour agir, thèse Aix-en-Provence, 1955, spéc. n° 202, p 107, cité par Y.-M. Serinet, La qualité du défendeur, préc.), l’action en résolution visant à modifier un rapport de droit – le contrat – est qualifié en défense, le sujet passif prétendu du rapport juridique que l’on veut modifier : le cocontractant. Le cessionnaire s’étant vu transmettre le titre de créancier mais non celui de cocontractant, il n’a pas qualité pour défendre et la demande exercée contre lui se heurte naturellement à une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 122).
Notons enfin que la réponse de la Cour de cassation est rédigée avec une insertion : « la cession d’une créance ne confère pas au cessionnaire qualité pour défendre, en l’absence du cédant, à une demande de résolution du contrat… ». Est-ce à dire que le cessionnaire aurait eu cette qualité si le cédant avait été appelé en la cause ? Non, cela signifie seulement que le cédant ayant qualité pour défendre à la demande en résolution, l’action aurait été recevable.