En l’espèce, des particuliers font édifier sous leur maîtrise d’ouvrage une maison individuelle, en confiant les travaux à différents corps d’état. La réception a lieu le 1er août 2012. Le maçon assigne les maîtres d’ouvrage en paiement du solde lui restant dû, tandis que ces derniers réclament l’indemnisation de différents désordres et appellent en cause le maître d’œuvre de l’opération.
La cour d’appel considère que le recours exercé contre le maître d’œuvre est irrecevable car les demandeurs n’ont pas respecté la clause de conciliation préalable contenue dans le contrat d’architecte, selon laquelle, « en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire ». Cette clause figurait dans les conditions générales du contrat, que les maîtres d’ouvrage avaient ratifiées en signant les conditions particulières, qui les mentionnaient. Or les maîtres d’ouvrage n’ont pas pris le soin de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes avant de présenter leur demande en justice, aucune régularisation n’ayant pu, du reste, intervenir en cause d’appel. Cette démarche leur incombait en qualité de demandeurs ; le fait pour le maître d’œuvre de n’avoir pris aucune initiative à ce titre est indifférent.
La Cour de cassation accueille le pourvoi formé par les maîtres d’ouvrage et casse l’arrêt d’appel. Elle reproche aux juges du second degré de n’avoir pas recherché, au besoin d’office, « si l’action exercée postérieurement à la réception de l’ouvrage, en réparation de désordres rendant l’ouvrage impropre à sa destination, n’était pas fondée sur l’article 1792 du code civil, ce qui rendait inapplicable la clause litigieuse ».
Les demandeurs ont agi après réception, en réparation de désordres résultant notamment d’infiltrations, sans préciser le fondement juridique de leur demande. Or, conformément à l’article 12 du code de procédure civile, au visa duquel la haute juridiction rend la présente décision, « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Les juges du fond auraient dû s’interroger sur le fondement légal de l’action en responsabilité qu’ils avaient à trancher afin, le cas échéant, d’écarter la clause litigieuse, si la responsabilité décennale de l’architecte trouvait à s’appliquer. En effet, la clause de saisine préalable de l’ordre des architectes doit être considérée comme inapplicable aux litiges fondés sur la responsabilité légale et objective de l’architecte.
De jurisprudence constante, « la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent » (v. Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, nos 00-19.423 et 00-19.424, Bull. ch. mixte n° 1 ; D. 2003. 1386, et les obs. , note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot ; Civ. 3e, 16 nov. 2017, n° 16-24.642, Dalloz actualité, 29 nov. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2018. 451 , note K. Mehtiyeva ; RDI 2018. 110, obs. P. Malinvaud ). Néanmoins, une telle clause ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés en vue de l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire car un tel recours ne préjuge pas du fond de l’affaire (Civ. 3e, 28 mars 2007, n° 06-13.209, Bull. civ. III, n° 43 ; D. 2007. 1147 ; ibid. 2008. 2820, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ; RDI 2007. 355, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 807, obs. P. Théry ).
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’affirmer, à plusieurs reprises, que la clause de conciliation figurant dans un contrat d’architecte doit être écartée en présence d’un différend susceptible d’engager sa responsabilité décennale (Civ. 3e, 23 mai 2007, n° 06-15.668, Bull. civ. III, n° 80 ; D. 2007. 1659, obs. P. Guiomard ; RDI 2007. 355, obs. P. Malinvaud ; 9 oct. 2007, n° 06-16.404, RDI 2008. 158, obs. P. Malinvaud ). Une telle clause ne peut être valablement mise en œuvre qu’en cas de litige portant sur la responsabilité contractuelle de l’architecte, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil.
Une fois de plus, la Cour de cassation se livre à une interprétation stricte du libellé de la clause de conciliation, qui se réfère « au respect des clauses du contrat », non aux dispositions légales. En tout état de cause, l’extension du champ d’application de la clause à la responsabilité légale de l’architecte se heurterait en théorie à l’article 1792-5, qui consacre le caractère impératif des articles 1792 et suivants du code civil – même si, en réalité, la clause de conciliation n’a pas pour objet de limiter ou d’exclure l’application des garanties légales. La position de la Cour de cassation pourrait se justifier par une raison pratique : les désordres de construction impliquent généralement une pluralité de coobligés, ce qui est de nature à compromettre l’utilité d’une conciliation amiable qui n’interviendrait qu’avec l’architecte (P. Malinvaud, La clause de conciliation préalable figurant dans le contrat type d’architecte ne s’applique pas aux litiges fondés sur l’article 1792, RDI 2008. 158 ).
Par Delphine PELET
Source : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/inapplicabilite-de-clause-de-conciliation-prealable-en-cas-de-responsabilite-legale-de-l-archi#.XQODT4gzaUk